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    La musique est pour moi bien plus forte qu'un parfum, qu'une photo, qu'un paysage, qu'une voix.
     
    Elle nous lie à jamais à ceux qui ont quitté ce monde ou qui n'ont plus voulu de nous.
     
    On se souvient toujours intensément de ceux avec qui on a vécu le miracle de cette émotion, de cette communion qu'est le partage d'une œuvre ou d'une interprétation et qui laissent d'indélébiles traces dans nos âmes, mais un vide incomblable lorsqu'il n'est plus.
     
    Alors... si l'on a éprouvé cette réciprocité, si on a joué ensemble cette musique, si on l'a cuisinée dans le quotidien d'une vie - lorsque l'on en a eu la chance - si les yeux se sont croisés en silence au même moment pour la même raison, l'absence de ces sons là est assourdissante et inconsolable.
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  • Malgré plus d'une décennie, un temps assez long en soi, mais que les émotions ne comptent pas ; malgré les nombreuses thérapies qu'il avait entreprises courageusement, quoique cela lui ait coûté ; malgré mille occupations que le musique fournissait encore à Robin, il subissait toujours l'assaut des souvenirs de Marie. Ses mots, surtout, qui, comme une braise ne voulant pas s'éteindre ou une fleur qui refuse de faner, quoique prononcés souvent si doucement, faisaient parfois  un vacarme assourdissant, celui du manque, celui du vide. « Tu as les mains si douces », « t'en penses quoi ? », « tu as un beau son », « oh... s'il te plait ! », « ça va, mon chou ? », « chûûût, je dors... »


  • On me dit de sortir. Que les terrasses de Rouen sont tout aussi agréables que celles de Paris.
    Il fait beau. Je sors. Je vais au marché Saint-Marc où, tous les dimanches, se trouvent une grande brocante et des terrasses. Des terrasses ensoleillées comme à Paris ; l'architecture, l'ambiance, la société et la vue sur les grands monuments en moins, cependant et la population plus ordinaire.
    J'ai mon chapeau, ma pipe et je dégote "Un jour je m'en irai sans avoir tout dit" en livre de poche pour 1,60 €.
    J'adore Jean d'Ormesson, il me revitalise souvent.
    Je trouve une petite place, coincé entre des couples qui se tiennent la main et des familles où les enfants boivent des diabolos grenadine et les parents des bières. Plus loin, une dame assez jolie, blonde aux yeux très bleus, seule ; en face d'elle un monsieur plutôt crasseux tente d'établir la conversation. « Dites ! j'trouve que vous r'semblez rien à ma première petite amie... » « Je n'ai pas envie de parler, je viens ici pour me reposer... » La jolie dame détourne le regard.
    Le café arrive, un peu amer comme toujours dans les cafés et le verre d'eau est plutôt tiède. Je suis un autre monsieur, avec son chapeau, sa pipe, ses lunettes de soleil, en train d'écrire sur un bout de papier trouvé au fond de ma poche.
    La dame ne ressemblait pas à ma première petite amie, celle avec qui je venais tant de dimanches ici, boire des cafés et où on se tenait la main, puis, plus tard, avec ma famille où mes enfants buvaient des diabolos grenadine.
    « Sors ! » me dit-on souvent, « tu rencontreras du monde ». Je suis sorti, j'ai rencontré du monde et je suis resté transparent.
     
     
     
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  • C'est le courage qu'il faut admirer chez ceux qui subissent des épreuves au lieu de leur dire qu'ils y sont forcément pour quelque chose par des mécanismes de psy de bazar ou de les ignorer parce qu'il leur arrive d'être tristes.
     
    Leur courage de vivre, déjà ; de jouer s'ils jouent, de composer s'ils composent, d'enseigner s'ils enseignent, d'écrire s'ils écrivent, le courage d'aimer toujours ceux qui leur sourient et qui, alors qu'ils ne le savent probablement pas, les font vivre.

  • Marie ne saura probablement jamais  les conséquences de sa rupture avec Robin, non seulement sa rupture d'ailleurs, mais surtout la manière dont elle s'y était prise. Comme beaucoup d'hommes amoureux, il n'avait pas pris en compte un certain nombre de signes, de paroles ou de silences, n'avait pas vu la flamme baisser dans les yeux de Marie, avait mis sur le compte de sa nomination au sein de cet orchestre une certaine griserie, une effervescence qui bousculaient alors sa vie quotidienne, ses projets, son futur. Peut-être la petite voix intérieure de Marie lui chantait-elle désormais de grinçantes mélodies, lui suggérait des pensées contradictoires, lui racontait qu'en fait ce n'était pas avec Robin qu'elle désirait continuer à construire sa vie, qu'il avait été un jalon dans son édification de jeune femme, un ami, un amant, un père, un professeur, un amoureux, un partenaire de concert et que tout cela s'était progressivement cristallisé, rabougri, desséché, intégré et classé. Robin, lui,  n'en était plus à la construction, il s'était marié, avait eu deux enfants, avait une partie de sa vie derrière lui, il avait trouvé en Marie, non seulement un objet de désir et d'amour mais aussi la réalisation de ses vieux rêves, vivre avec une musicienne de talent, habiter à Paris, former une équipe de sonate, rencontrer de jeunes musiciens, rire continuellement, prendre ses petits déjeuners au lit tous les jours, écouter de la musique avec les yeux plongés dans le regard de celle qui entendait la même chose que lui. Depuis, la vie de Robin était un combat épuisant et quotidien. Il devait aller au plus profond de lui même, comme un spéléologue accroché à sa corde, pour chercher les petites braises encore tiède de son âme, les éclats de diamant ternis,  pour les raviver ou les faire briller. A ce prix il pouvait alors jouer, enseigner, faire semblant, aimer ses amis et toujours la musique. Tel un ordinateur dont il faudrait changer le disque dur, Robin accomplissait l'immense tâche de la défragmentation/restructuration.


  • 13 août 2017

    Un jour elle sera vieille, ridée. Sa peau sera flasque et ses cheveux gris. Le chant de son instrument ne sera plus qu'hésitant et tremblant. Sa voix sera celle d'une corneille et des poils pousseront autour de son grain de beauté. Bien sûr, je serai mort, mais là où je serai, si je le sais, si je le vois, j'éprouverais alors un doux apaisement, car elle ne séduira plus personne. 

     


  • 12 mai 2017

    Les acteurs avaient disparu ainsi que l’héroïne,  la pièce n'était plus la même, seul le décor subsistait, à quelques détails près, ainsi que les costumes.  

    Robin se retrouvait sur cette scène de théâtre avec en mémoire un texte inadapté, des répliques qui n'avaient plus lieu d'être, un jeu de scène obsolète.

    Parfois, il croyait avoir retrouvé une nouvelle actrice et, le temps de quelques répliques, de quelques musiques, de quelques complicités, il pensait pouvoir, si ce n'est rejouer, tout du moins continuer cette pièce qu'il connaissait par cœur.

    Mais, alors qu'il jouait un dialogue, la nouvelle pièce s'écrivait pour lui comme un monologue. Et c'est dans la nostalgie profonde telle que Fauré l'exprime dans le passage central de son Nocturne n° 4 que Robin méditait, réfléchissait, écrivait.  


  • 1 mais 2017

     

    Peut-être un jour regretta-t-elle de ne plus entendre quotidiennement le son de ce piano, cette manière particulière que Robin avait de phraser et d'aller chercher au delà des notes celles qui l'on n'entendait pas. Elle lui avait dit un jour qu'il avait un beau son. C'était toute la recherche de cet homme, voué par passion à cet instrument qu'il redécouvrait à chaque fois qu'il posait ses mains sur le clavier. En tout cas, elle n'en sut jamais rien et poursuivait, seul et inlassablement, l'exploration de la musique, désormais sans oreille complice, si ce n'est - de temps à autre -  celle d'une élève à qui il jouait ses programmes et qui l'écoutait attentivement, vraiment...


  • 3 août 2016

     

    La mémoire ne comptabilise pas les temps morts. On ne se souvient que de ce que l'on fait. Comme un montage audio où l'on supprime les silences ou comme une prise de vue que l'on coupe entre deux scènes, les heures creuses, celles de l'ennui, de l'inaction, de l'attente, disparaissent au fur et à mesure. Jamais on ne se dit "tu te souviens de ce moment où tu ne faisais rien ?" Ce phénomène accroît alors l'impression de vacuité car on se demande parfois pourquoi il ne se passe rien alors que nos souvenirs nous donnent l'impression d'une vie si bien remplie.


  • 2 juillet 2016

    Robin retrouvait, lorsqu'il reprenait une partition, sur la page de garde, le nom de celui ou celle avec qui il avait joué l'œuvre, ainsi que le lieu et la date. Il aimait, après la représentation, parfois même dans les coulisses, se livrer à ce petit travail d'archivage, fixer sur le papier l'éphémère d'un concert. Mais, comme une photo que l'on revoit, un objet oublié dans un grenier ou les effluves d'un parfum, la force de ce souvenir pouvait encore lui donner le vertige de la nostalgie. Et, alors qu'il avait fait disparaître toute trace de l'enregistrement de ce dernier concert, la partition le ramenait à ce qui avait été vécu et qu'il tentait d'oublier.

    LdC.


  • 28 avril 2016

     

     

    « Tu me manques » est beaucoup plus grave et beau que  « Je t'aime »